14 avr. 2009

Allegro et sotto voce

Fantaisie, vivacité et lucidité donnent le ton du nouveau recueil de Stefano Benni. Auteur d’une dizaine de livres traduits en français - dont le délicieux Margherita Dolcevita -, Benni compose ici en virtuose une partition à plusieurs voix réunissant 25 nouvelles déjantées et pétillantes. Chaque personnage chante la vie à sa manière (déchante parfois aussi) et nous convie à une drôle de danse où le cocasse côtoie l’immonde. Très doué, Benni parvient, en deux ou trois pages, à orchestrer des univers cohérents, denses et imagés où les chiens sont fidèles jusque dans la mort, où les ogres ne sont pas qui l’on croyait et où le gsm fait croire au bonheur. L’écriture évite les fioritures inutiles pour aller à l’essentiel, le tempo est allègre, les trouvailles délicieuses. Mais derrière cette joyeuse énergie, on sent poindre la perspicacité de l’auteur : la solitude guette, l’amertume n’est pas loin. Le recueil de Benni c’est « l’Eté » de Vivaldi mais c’est aussi « l’Air du Froid » de Purcell. Et ce mélange détonnant résonne longtemps après avoir refermé le recueil.

La Grammaire de Dieu: histoires de solitude et d'allégresse, Stefano Benni, traduit de l’italien, Actes Sud, 259 pp.
(Article paru dans le Vif/l'Express du 10 avril 2009)

Je grammaire, tu grammaires, nous grammairons


Qui l’eût cru, on peut s’amuser en lisant un précis de grammaire ! C’est le pari (réussi !) auquel se sont attelés les Français Olivier Houdart et Sylvie Prioul. Les deux compères nous entraînent avec enthousiasme et drôlerie sur les pentes escarpées de quelques grandes règles grammaticales dont ils explorent les zones d’ombre, parvenant à rendre le fastidieux accord du participe passé des verbes pronominaux aussi ludique qu’agréable. Ils démystifient et donnent quelques trucs et astuces très utiles pour ne plus achopper sur les écueils habituels. Une bouffée d’air frais pour dépoussiérer l’imbroglio grammatical et comprendre l’origine historique de toutes ces règles. Les auteurs ont aussi la jolie idée d’assortir leur ouvrage d’exemples nombreux et éclairants, sortis pour la plupart du monde de la presse. Ils n’hésitent pas non plus à se frotter à la délicate féminisation des noms de métiers, qui a elle seule a déjà fait couler beaucoup d’encre. « Chapeau Messieurs les auteurs ! ». Et oui, l’accord se fait avec le genre masculin : Monsieur Houdart, vous l’emportez !

La Grammaire, c’est pas de la tarte !, Olivier Houdart et Sylvie Prioul, Seuil (Article paru dans le Vif/l'Express du 10 avril 2009)

8 avr. 2009

Intimité et intelligence

Il est difficile de résumer en quelques phrases les 21 récits du livre de Daniel Karlin tant le propos est dense et varié. Réalisateur pendant plus de trente ans d’émissions sur la folie, l’hôpital, l’inceste, l’autisme ou la prison dont les fameux La raison du plus fou (1970), Justice en France (1991), Des enfants abusés (2000) et le controversé Et si on parlait d’amour (2002) - qui l’a d’ailleurs décidé à arrêter la réalisation audiovisuelle -, Daniel Karlin revient sur son parcours de documentariste et sur les rencontres qui l’ont émaillé. Il s’attache à des figures aussi diverses que celle de Broussilovski, un ancien camarade du PCF dont il décrit l’itinéraire. Il revient sur l’affaire Jean Michel Di Falco, évêque auxiliaire de Paris accusé en 2002 de pédophilie, dont il dénonce entre autres l’ignominieuse mauvaise foi. Communiste convaincu, Daniel Karlin retrace avec amertume un voyage au Vietnam en 1979. Il reconnaît la faillite de la politique des dirigeants communistes vietnamiens et l’oppression policière qui règne à l’époque dans la ville d’Hô Chi Minh.
À côté de la grande histoire, Daniel Karlin dresse aussi des portraits intimistes comme celui d’un jeune ami myopathe qui, après avoir cruellement échoué à s’imposer comme psychothérapeute, mourra trois mois plus tard. Dans Le ballon vert, nouvelle éponyme qui ouvre le recueil, l’auteur épingle la rigidité de certaines institutions à travers le récit d’un jeune enfant sourd considéré comme « débile » par le centre où il s’étiole alors qu’il se révèlera finalement vif et curieux de tout. Dans une autre de ses nouvelles, Karlin s’intéresse au délicat sujet de l’inceste osant poser la question de l’absence intrinsèque du sentiment de culpabilité chez la majorité des abuseurs.
Les textes de Karlin sont marqués par une grande indépendance d’esprit et une sensibilité engagée. Grande gueule au cœur tendre, il remet quelques pendules à l’heure. Mais, au-delà de ses coups de pied dans la fourmilière, on le sent animé d’un profond besoin de traquer l’humain derrière les apparences, même chez le pire criminel. Beaucoup d’intimité et d’intelligence dans ce livre, à la fois essai sociologique et texte littéraire, estampillé par cette phrase : « Nous cherchions du sens partout où nos pas nous conduisaient. »

Le ballon vert et autres nouvelles d’un monde à l’envers, Daniel Karlin, Seuil, 240 p.
(Article paru dans le Vif/L'Epress du 3 avril 2009)

Instants de grâce...

Auteur d’une vingtaine de livres traduits en français, la japonaise Yoko Ogawa est parvenue à bâtir une œuvre riche et étonnante, parfois dérangeante. Elle nous revient en ce début d’année avec un recueil de sept nouvelles insolites et lumineuses, écrites entre 2001 et 2006. L’occasion pour elle de renouer avec ses thèmes de prédilection dont le goût du classement, le souvenir et l’onirisme. La nouvelliste parsème ses textes d’images douces-amères. L’accent n’est pas comme dans La grossesse ou Hôtel iris à la cruauté ou à la menace mais au contraire à la douceur et à l’exploration de la mémoire. Au-delà de la belle proximité qu’elle instaure entre les générations, Yoko Ogawa nous prend par la main et nous guide parmi ses univers décalés et enchanteurs où évoluent des personnages sensibles et attachants. Très belle nouvelle, La guide clôt avec majesté et tendresse le recueil. Elle raconte la rencontre, lors d’une visite guidée de la région, d’un jeune garçon, fils de la guide, et d’un très vieil homme, ancien poète qui s’est converti dans la vente : il tient une échoppe appelée « titrerie ». Mon travail, c’est de mettre un titre sur les souvenirs que m’apportent les clients. Conteuse de talent, Yoko Ogawa nous plonge dans des destinées humaines étonnantes, et surprend par sa grâce et sa poésie.
La mer, Yoko Ogawa, nouvelles traduites par Rose-Marie Makino, Actes Sud, 149 p.
(Article paru dans le Vif/L'Express du 27 mars)

Fascinant Mexique


Après son Dictionnaire amoureux de l’Inde (2001), Jean-Claude Carrière nous propose une subtile et chatoyante balade au pays des cités mayas, de la civilisation aztèque, des villes coloniales et des tortillas : le Mexique ! Il nous convie à un tour d’horizon riche et foisonnant passant en revue les trois grandes époques du pays : précolombienne, espagnole et contemporaine. Avec intelligence et humilité, l’auteur dévoile la complexité mexicaine, relevant les contradictions et les énigmes qui jalonnent son histoire. En plus de la considérer dans sa globalité, l’auteur s’intéresse de près aux individus qui l’ont écrite: Cortès, Bartolomeo de Las Casas, Miguel Hidalgo, Porfirio Diaz, Zapata, Frida Kahlo, Octavio Paz pour ne citer que les plus importants. Très beau panorama réaliste et vivant d’un pays masqué : tout à la fois violent et enjôleur.

Dictionnaire amoureux du Mexique, Jean-Claude Carrière, Plon, 507 p.
(Article paru dans le Vif/L'Express du 27 mars)