24 juin 2010

Désamour maternel

Vite, rattrapez votre retard si vous n’avez pas encore lu La Pluie, avant qu’elle tombe. Coup de cœur assuré pour le dernier roman sorti en poche de Jonathan Coe. L’auteur britannique nous a habitués à de grands moments littéraires mais là il se surclasse avec un roman plus grave et plus féminin. A ce titre, c’est avec maîtrise qu’il se met dans la peau d’une narratrice, l’attachante Rosamond. Il sonde le désamour maternel de génération en génération, et ses implications psychologiques sur chaque destinée.

Rosamond laisse à sa mort vingt photographies et des cassettes qui les décrivent, le tout destiné à une jeune femme aveugle, Imogen. Gill, la nièce de Rosamond et par ailleurs son exécutrice testamentaire, doit retrouver Imogen et lui confier les cassettes sans savoir au juste quel est le lien qui unit les deux femmes, Ne parvenant pas à trouver trace d’elle, Gill et ses filles écoutent le testament de Rosamond et découvrent sa vie. Elles entrevoient petit à petit les destinées de trois mères incapables d’aimer leur fille.

Découpé en autant de chapitres que de photos, le roman offre une structure très balisée qui paradoxalement permet à un grand souffle passionnel (sentimental, romanesque, appelez cela comme vous voulez) de se déployer. Richesse sensorielle aussi (sons, odeurs et images sont décrits avec minutie) et subtilité narrative font de ce douloureux et tendre roman une attaque douce contre ce qui peut arriver de pire dans les relations humaines : l’indifférence.

La Pluie, avant qu’elle tombe, Jonathan Coe, traduit de l’anglais par Serge Chaumin et Djamila Chauvin, Folio, avril 2010, 267 p.

18 juin 2010

L'été étant l'occasion de découvrir ou redécouvrir de nombreux livres de poche loin de l'effervescence littéraire du mois de septembre, je profite de l'accalmie pour vous parler du roman de Ketil Bjornstad La Société des jeunes pianistes. Subtil et musical, le roman comporte néanmoins une erreur glaçante: à la page 204 de l’édition de poche, il évoque le Concours Reine Elisabeth... de LONDRES. Arghhhhhh !
Quelle idée aussi d’avoir nommé notre prestigieux concours du nom de l’épouse du roi. Il eût mieux valu parler du Concours Eugène Ysaÿe, personne n’aurait confondu avec la Reine Elisabeth du Royaume-Uni…. Mais bon l’homme était Liégeois et on peut imaginer une résistance flamande à voir un grand concours national porter le nom d’un illustre francophone. Rien de nouveau sous le soleil belge donc…

Une erreur d’autant plus éhontée qu’elle est le fait d’un auteur musicien : Ketil Bjornstad est compositeur et pianiste, il a remporté le Grand Concours des Jeunes Pianistes à Oslo à l’âge de quatorze ans. Frustrante aussi l’idée que le manuscrit est passé entre les mains d’un éditeur norvégien, d’un éditeur français (Lattès, pour ne pas le citer) et enfin de l’éditeur du Livre de Poche. Ils n’y ont vu que du feu, à croire que nous ne mettons pas assez en avant notre grand concours…

Le roman est néanmoins à embarquer dans les valises cet été. Il conte le quotidien du jeune Aksel Vinding dans les années 60 à Oslo (de quoi vous dépayser au creux des petits villages toscans ou sur une plage bretonne). Marqué par la mort récente de sa mère, Aksel arrête le lycée et se consacre exclusivement au piano. Il tombe fou amoureux de la jolie Anja Skoog, elle aussi sélectionnée pour participer au concours des Jeunes Talents. Ils vont devoir tous deux résister à la pression qui pèse sur leurs épaules et à la concurrence qui règne entre les candidats. À signaler l’ambiance particulière qui baigne le roman : la sensibilité d’Aksel contrecarre les relations glaciales et hypocrites qu’entretiennent certains autres personnages. Il y a du trouble et du lumineux, à l’image des spots de la rampe et de l’obscurité des coulisses.

Bonne lecture !

La Société des Jeunes Pianistes, Ketil Bjornstad, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Le Livre de Poche, 2008, 443 p.

9 juin 2010

Roman e-pistolaire

En cette veille de congés estivaux, un roman sur support MP3 à écouter sur la route des vacances, quoi de plus agréable pour oublier les fastidieux trajets automobiles ? C’est ce que nous propose la collection Audiolib qui publie Quand souffle le vent du nord, le roman épistolaire de l’auteur autrichien Daniel Glattauer. Epistolaire ou e-pistolaire puisque le roman est exclusivement constitué des mails que s’échangent Emmi Rothner et Léo Leike. Emmi a décidé de résilier son abonnement à un magazine et envoie par erreur un mail à Leo qu’elle ne connaît pas. Ainsi commence une relation virtuelle riche en découvertes et en confidences. Au fil du temps et des échanges avec Leo, Emmi Rothner, mariée et heureuse en ménage, tente de se convaincre que cette relation épistolière ne peut avoir d’incidence sur sa vie. Leo Leike, lui, assistant en psychologie du langage a bien du mal à se remettre d’une relation amoureuse et est intrigué par la vie stable d’Emmi. Ce qui devait arriver arrive : sans s’être jamais vus, ils tombent progressivement amoureux l’un de l’autre. Du déjà vu, me direz-vous ? Certes mais l’auteur parvient à éviter le cliché sentimental et surprend par la profondeur de l’analyse des sentiments. Crédibilité aussi des points de vue : masculin d’une part, féminin de l’autre.

1O/10 alors ? Non malheureusement. Après un début séduisant et prometteur, le roman lu avec talent par Jean-Marc Delhausse et Nathalie Hugo s’enlise imperceptiblement. Les échanges finissent par se ressembler, ce sont les mêmes propos qui reviennent, l’hésitation sur le bien-fondé d’une rencontre « en chair et en os », le rappel incessant qu’Emmi est mariée, la jalousie inavouable de celle-ci lorsque Leo sort avec d’autres filles. Bref si le roman réussit à mêler étroitement séduction, amour et jalousie, les 5h26 d’audition se révèlent un chouia longuettes. Mais soyons juste, il faut écouter le roman d’une traite pour en profiter au mieux, ce qui n’a pas été possible pour moi. Et puis saluons l’épilogue qui surprend et qui frustrera bien des lecteurs (mais les lecteurs aiment être frustrés, non ?) : un véritable coup de théâtre auquel personne ne s’attend…

Quand souffle le vent du nord, Daniel Glattauer, lu par Jean-Marc Delhausse et Nathalie Hugo, Audiolib, durée 5h28.